
La Grande Illusion
Un film
mythique
« Boeldieu ? », harangue l'officier allemand procédant à l'appel général. « De Boeldieu ? ». Pour toute réponse, une flûte se fait entendre dans la nuit. Le commandant Von Rauffenstein, engoncé dans sa minerve, ajuste nerveusement son monocle avant de le déchausser pour découvrir et mieux discerner l'officier français juché en toute décontraction sur le garde-corps du chemin de ronde en surplomb. Le capitaine De Boeldieu pianote de ses gants blancs « le petit navire » sur l'instrument de musique qu'ont manqué de lui confisquer ses geôliers. C'est alors la bousculade dans la cour principale de Wintersborn. Soldats allemands et faisceaux de projecteurs prennent De Boeldieu en chasse. Il survole les marches d'escalier qu'il gravit. Les lieutenants Maréchal et Rosenthal mettent à profit la confusion de l'instant pour discrètement quitter leurs camarades français, anglais, russes. Grâce à la corde - tressée au nez et à la barbe de leurs gardiens - qu'ils jettent du haut d'un ouvrage bastionné, ils parviennent à s'évader de la sévère forteresse médiévale reconvertie en prison militaire. De Boeldieu, de son côté, chevauche une toiture enneigée pour atteindre un escarpement de gros blocs rocheux. D'une trille exécutée à la flûte, il nargue ses poursuivants qui le mettent en joue et tirent, mais l'officier en fuite a eu le temps de se jeter à terre. Von Rauffenstein accoure, inquiet. Il supplie De Boeldieu de revenir sur ses pas : « You understand ! That if you do not obey my order now I'll have to shoot. I'd hate to do that. I beg you, man to man, come back…"
Le château au coeur
du film
Pendant plusieurs jours, le Haut-Koenigsbourg a accueilli en ses murs les acteurs Erich von Stroheim (« l'homme que vous aimerez haïr »), Pierre Fresnay (le « régional » de l'étape ; son véritable nom était Pierre Laudenbach), Jean Gabin (le « jeune premier » de service)… Jean Renoir s'était adjoint les services d'assistant-réalisateur de Jacques Becker (ce dernier reviendra au château une vingtaine d'années plus tard pour y tourner « Les aventures d'Arsène Lupin », avec Robert Lamoureux) ainsi que d'une script-girl apparaissant au générique du film sous le nom de « Gourdji » et n'étant autre que Françoise Giroud. Pour anecdote, le manteau de poulain qu'elle portait sur le tournage lui valait d'être affectueusement surnommée « mon petit cheval » par Gabin…
Une quarantaine de figurants avait pour l'occasion été recrutée à Sélestat. Dans une scène prise au « parc aux bêtes », on entend d'ailleurs distinctement l'un d'eux intimer un ordre en alsacien (« Dü sollsch dò Owe bli ! » à Sylvain Itkine, alia le lieutenant Demolder, lorsque ce dernier, absorbé par sa lecture, s'éloigne d'un groupe de prisonniers s'adonnant à une joyeuse bataille de boules de neige.
Lors de votre prochaine visite du château, vous identifierez les cours, lices, façades, escaliers et chemins de ronde dont intégralité ou détails apparaissent dans le film. Vous vous approprierez des lieux auxquels « La grande illusion » confère un passé cinématographique incontestablement prestigieux.